Légéreté des règles vs popularité

Michel a écrit:

Ca veut donc dire que cette évolution vers plus de légèreté n'est pas poussée par les joueurs mais par les créateurs. Ca vous parait cohérent?

En grande partie, oui. Il faut aussi voir que le game design (de JdR, de plateau, jeux vidéo) a énormément évolué depuis les années 80 jusqu'à devenir une discipline à part entière. J'écoutais un podcast l'autre jour où un des intervenants enseigne cette matière dans une université, ce qui n'existait pas du tout il y a 20 ou 30 ans. Aujourd'hui, je ne pense pas que le moindre jeu Kickstarter sorte sans avoir été calibré, playtesté, remanié, affiné pendant des mois.

Les systèmes publiés à l'heure actuelle sont pensés pour maximiser l'expérience de jeu dans le sens que souhaite l'auteur et beaucoup de théories de game design s'inscrivent, de manière intuitive ou plus rigoureuse, dans le mouvement actuel autour de la psychologie et des sciences cognitives. On sait que la complexité des règles génère des interruptions qui peuvent nuire à l'immersion et à la fluidité d'une partie. On connait les seuils de réussite aux dés en-dessous desquels le sentiment de frustration va dominer chez le joueur (ce qui peut parfois être l'effet recherché). On sait que des mécaniques dont la forme colle au propos d'un JdR vont favoriser l'émergence d'une couleur et l'immersion. D'un autre côté, on veut aussi attirer un public plus divers et c'est bien normal à la fois sur le plan de l'ouverture du hobby et sur le plan économique.

Ca ne veut pas dire qu'il faut niveler par le bas en bannissant toute règle un tant soit peu complexe. Tout est une question de compromis, il ne s'agit pas de nier l'aspect stratégique qui reste pour beaucoup de monde une grosse part du plaisir de jouer. Mais la tendance actuelle est à écarter les mécaniques superflues pour garder ce qui va être moteur du type d'expérience privilégiée par le jeu. Et ça marche très bien pour un cerveau humain moyen en recherche de ce que le JdR peut procurer, c'est à dire du fun et de l'immersion.
Du coup, avec ces nouveaux outils à portée de main, je vois mal comment un éditeur peut ressortir tel quel aujourd'hui un jeu typique des années 80/90 avec des mécaniques parfois jetées là un peu par hasard ou des règles sans caractère copiées/collées sur tout ce qui se faisait à l'époque, des "bugs" de système frustrants, etc. C'est après tout assez logique que les grosses boites de JdR incorporent aux dernières versions de leurs jeux phares au moins un peu de ce que les petits et moyens créateurs ont réussi dans les 10 dernières années.

Pour ce qui est de l'accueil par le public, ça s'explique pour moi d'une manière assez simple qui est le manque de renouvellement des générations en JdR, contrairement à d'autres supports comme le jeu vidéo ou le jeu de société. Les joueurs anciens restent attachés aux valeurs sûres de leur jeunesse et comme quelqu'un l'a dit plus haut, les nouveaux n'ont connaissance que des têtes d'affiche. Donc oui, c'est possible que les jeux "légers" indépendants restent encore largement minoritaires face aux grosses licences, il faudrait vérifier les chiffres. Mais ça évolue, les bons projets indépendants se financent sans aucun mal sur les plateformes participatives et certains deviennent très populaires. A mon avis c'est tant mieux, cette diversité ne peut être que positive pour le jeu de rôle dans son ensemble.