Séance 2: Savoir où est le centre
Après une première séance passée à redécouvrir le monde de ce nouveau point de vue si particulier qu'est celui des vampires, Najac Fayolle et Clarissa Mowry se rencontrent enfin sous cette nuit si particulière: tous deux sont des vampires.
Laissant dans le Grand Café Antoine Savoye et une blonde aux allures de secrétaire (tout aussi vampire que lui), ils partent chez Clarissa pour qu'elle tire les cartes à Najac. Le résultat du tarot est sans appel: les affres financiers de Najac Fayolle, notamment cette dette non épongée auprès du Dragon (à qui il doit toujours 500$ pour la coke perdue), le placent sous un signe funeste. Ils décident d'aller détrousser un touriste.
Les voilà au quartier des entrepôts, dans un petit bar de jazz connu pour attirer les humains en visite. Clarissa s'occupe de draguer une bedonnante proie tandis que Najac fait le guet. L'hameçon est trop tentant, le poisson le fuit par instinct. Nos deux larrons n'ont d'autre choix que de lui tendre une embuscade dans une ruelle sombre toute proche. Leur nouvelle force vampirique permet aux nouveau-nés d'assommer le bedonnant sans problème - 1000$ divisés en deux plus tard, les affaires de Najac semblent réglées.
Alors qu'ils sortent de la ruelle le sourire aux lèvres et la fierté au coeur, nos deux compères heurtent la route de trois Skinheads pur jus: blancs, rasés, tatouage se devinant dans le haut du cou, le reste couvert d'imposants habits et de rangers assorties. Najac refuse de céder du terrain, y va même de son bon mot: l'affrontement inter-ethnique se profile.
Najac est sûr de son fait. Hélas: il est encore loin de la maitrise de ses nouveaux talents. Il ne parvient pas à réduire l'un de ses agresseurs en esclavage et comprend bien vite que sa maigre expérience de bagarreur ne lui vaut pas grand chose face à des brutes endurcies, toutes humaines qu'elles soient. Tandis que Clarissa parvient à maitre à terre l'un des agresseurs, les deux autres s'acharnent sur Najac, l'un le maintenant d'une clé de bras dure comme le roc tandis que l'autre le bourre de coups de poing. A mesure que les coups pleuvent, la rage enfle.
Finalement, la Bête prend le dessus: Yeux rougis, dents proéminentes, muscles saillants, Najac hurle, se libérant finalement de la clé, avant de fuir, Clarissa sur ses talons. Il a faim, terriblement faim. Il ne peut plus attendre. Il court, saute, arrache la gorge d'une passante. Clarissa fait ce qu'elle peut pour masquer à la foule ce qui se passe, écarter son compagnon mais les téléphones portables sont déjà sortis, ils filment avidement tandis que deux hommes trainent l'agresseur loin de la malheureuse victime. Le sang gicle encore, inondant le champ des caméras intégrées.
Clarissa est parvenue à trainer Najac plus loin. Il l'agresse, la boit littéralement. Elle laisse faire un temps puis se retire à lui, il a repris le contrôle. Mais la Faim est là, quelque peu étanchée mais toujours là.
Pas d'autre choix, un sans domicile fixe, dormant paisiblement au parc, fera les frais de la Faim de ces jeunes loups égarés. Ils boivent, ne se rendent pas compte que la vie de cet être si fragile y passe, continuent jusqu'à le vider. Il faudra masquer le corps, se dit Najac. Il n'a pas l'air plus touché que ça tandis que Clarissa, qui garde de son humanité intacte, tremble de ce qu'ils ont fait. Ne t'inquiète pas, j'ai un plan. Et d'appeler le Dragon alors que tous deux roulent dans la vieille voiture de Clarissa Mowry, qu'elle est allée chercher mi par nécessité, mi pour être loin de cet être dont elle ne sait que si peu de choses, finalement. Il fréquente le Dragon? Peut leur demander service? Tue un homme sans sourciller? Qui es-tu, Najac Fayolle?
La question rebondit dans l'habitacle de la vieille voiture tandis qu'il s'arrange, l'air à nouveau si sûr de lui. On a un colis. Du genre à faire disparaitre. On peut vous le confier? Ok. sur Liberty Bridge, oui. Dans vingt minutes, oui. Très bien.
Ils y sont, dans la nuit qui pâlit doucement. Ils y sont quand le van s'arrête, que trois hommes en sortent, sourire arrogant quand ils interpellent Naja! Not' bon Naja! Et c'est qui ta copine? Eux tentent de les perdre mais il faut finalement donner l'adresse, la vraie, celle des papiers, celle qui dit qu'elle est voyante tireuse de carte qu'elle fait son beurre comme ça, celle qui dit Clarissa Mowry. Un nom de scène, bredouille Najac, à court de piste face à la colère sourde de la jeune femme, voulant la protéger et réalisant petit à petit qu'il la condamne.
Ils partent, emportant le cadavre et la certitude qu'ils ont l'avantage, qu'ils ont l'ascendant sur ces deux-là, qu'ils pourront leur demander ce qu'ils veulent, ils nous en doivent une bonne!
Ils partent, laissant éclater derrière eux la colère de Clarissa. Tu traines avec le Dragon? A ce point-là? Tu sais pas qui c'est?
Oui, ce sont eux qui donnent du boulot et de l'espoir à la communauté. Ce sont des charognards mais entre les loups blancs et les vautours noirs, on fait son choix.
Ce sont des criminels, des parasites!
Silence de mort pour un retour au foyer. Clarissa dépose Najac, l'idiot sans réfléchir a dit qu'il logeait là avec son sire, il ne sait pas si c'est vrai en fait mais c'est son sentiment. Elle part, épuisée mais sachant qu'avant de dormir elle se doit de prévenir son sire rapidement. Après, le repos. Elle sent le soleil tout envahir, imposer ce règne qu'elle exècre depuis peu. Tout lui parait si lourd, quand elle se glisse dans le repos. Avant, le soleil la rendait si légère...
Najac s'est réveillé, son sire au-dessus de lui. Tu n'as rien à me dire? Euh si, je, je voulais vous... Crétin!
Le mot vole et coupe court à toute conversation. Je m'occuperai de toi en temps voulu, tiens-toi prêt, la convocation va venir. Et le bébé, la jeune victime de ses sentiments, de sa Faim, de sa Bête, n'ose pas demander davantage.
Clarissa a eu un réveil plus simple, à y regarder bien. Certes, le savon a été passé mais elle a eu l'occasion de s'expliquer, de justifier son rôle, j'ai essayé de le contenir mais il était fou! Et d'apprendre que le prêtre qui guide les Skinheads, le prêtre qui a lancé son église contre le quartier caribéen de la ville, le prêtre qui a dit-on juré la mort des Noirs, n'est autre que Vidal. Augusto Vidal, Prince de cette ville, membre de la Lancea Sanctum. Ainsi il joue sur les deux tableaux...
Mais il faut que Clarissa réfléchisse à des choses plus importantes. Quel serment de l'Ordo Dracul veut-elle prêter? Sera-ce la Hache, la voie des gardiens et le bras armé de l'Ordo? La Lumière Mourante, les scribes et savants de l'Ordo? Ou le serment des Mystères, l'organe intriguant, la force politique de l'ordre?
Elle ne sait pas mais, par contre, elle sait quel anneau du dragon elle veut explorer d'abord. Ce sera la Bête, le contrôle de soi. Après les événements de la veille, c'est tout ce qu'elle voit car jamais elle ne veut finir comme Fayolle hier. D'ailleurs, la Faim la prend. Le sire acquièce, sort des canettes marquées Pepsi, trois. Fait un signe. Clarissa, en ouvre une, renifle. Du sang? Elle boit, ouvre les autres, boit. Le sire acquiesce. Suis-moi.
Quelques pièces plus loin ils s'enfoncent, jusqu'à une porte fermée d'une grande roue comme dans les sous-marins. Ils la franchissent et entrent dans une pièce où des grilles au sol, comme celles des fontaines sur les places, semblent au repos. Au centre, un grand signe tracé au sol. Un Yin et un Yang. Assieds-toi, médite. Résiste. Reviens si tu en es digne. Après quinze minutes, reviens.
La porte se referme sur le sire souriant, un grand sablier se renverse et l'enfer s'abat sur Clarissa Mowry. Le cercle extérieur d'abord, les contours de la salle, s'enflamment. Ce n'était pas des fontaines mais des geysers brûlants, le feu des enfers craché à plusieurs mètres de haut. Tout s'éteint, elle croit au répit puis. Gauche. Droite. Loin. Proche. Derrière. Devant. En même temps. Séparé. Les geysers la brûle, l'odeur de peur et de porc brûlé envahit la pièce.
Les grains du sablier coulent placidement.
Elle court évite grogne roule stop! maintenant! évite court recule bondit. Trop tard. Un jet lui emporte la moitié du visage dans un hurlement. Elle pense pleurer mais n'a pas le temps pour cela. Il faut continuer le prochain jet est là.
Les grains du sablier coulent placidement.
Quand ils ont fini de couler, l'écoutille s'ouvre sur l'espoir. Clarissa est en boule, dans un coin, à grogner. Son sire vient la relever, la félicite. Voit la brûlure. N'a qu'un mot: il faudra couvrir cela pour la réunion. La convocation est arrivée. Il faut partir.
Najac, lui, a profité de la nuit pour voler la vie d'une jeune fille séduite au hasard.
Nola Convention Center. Le siège du Prince de la Ville.
Grande salle. Eglise moderne, vide mais monstrueusement grande. Quatre chaises de fer. Aux extrémités, les sires. Au centre, les enfants. Qui ont tant à apprendre...
Face à eux une estrade. Ils arrivent. Le Conseil des Primogènes. Huit personnes, tous vampires. Au milieu d'eux, Augusto Vidal, le sourire en coin, le verbe haut. Vous voyez, à recruter la lie de l'humanité, à sucer des sous-races, ce qu'on obtient. Il se délecte du montage préparé, les images des journaux, des télévisions, des reportages humains. Accablant. Deux morts dont une cette nuit même. La rumeur qui enfle, qui sont ces agresseurs arrachant la gorge de cette jeune touriste de dix-sept ans explorant la Nouvelle-Orléans avec sa famille? Dévorée sous les yeux incrédules de ses proches? Le frère filmant la mère se masquant les yeux le père et l'oncle se débattant avec les deux forcenés s'enfuyant au loin vite si vite comment vont-ils si vite? Personne n'a pu les rattraper ils filaient à une allure rattrapaient les voitures j'vous jure ils ont dépassé une voiture en fuyant!
Fin du clip. Silence. Ecran blanc. Sourires blancs. Visages blancs.
Le scandale peut être étouffé. Nous y arriverons. Mais il faut payer. Vous connaissez la tradition, le poids de la tradition pour nous vampires, l'importance de la maintenir de s'y tenir. Les humains élisent n'importe qui pour faire n'importe quoi. Pas nous. Nous nous conformons à ce qui est. C'est pour cela que nous avons survécu depuis tant d'années.
Claquement de doigt.
Arrivée de quatre esclaves noires, jeunes, belles, en tenues de soubrettes enchainées. Le visage neutre (qui a dit mort?), elles apportent quatre coupes.
Ma condamnation pour vous. Ensuite, sires, vous serez libres d'appliquer celle que vous jugerez adéquates à vos... rejetons.
Ma condamnation pour vous, donc. Buvez de mon sang.
Les coupes sont vidées, le rictus des sires se masque au mieux, les rejetons ne comprennent pas ce sang est si bon si délicieux pourquoi s'en priver?
Encore un pion dans l'échiquier qu'ils ne comprennent pas, pensent-ils tous deux en partant de là.